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Le Verger

Dans le jardin, sucré d’oeillets et d’aromates,
Lorsque l’aube a mouillé le serpolet touffu,
Et que les lourds frelons, suspendus aux tomates
Chancellent, de rosée et de sève pourvus,
Je viendrai, sous l’azur et la brume flottante,
Ivre du temps vivace et du jour retrouvé,
Mon coeur se dressera comme le coq qui chante Insatiablement
vers le soleil levé.

L’air chaud sera laiteux sur toute la verdure,
Sur l’effort généreux et prudent des semis
Sur la salade vive et le buis des bordures,
Sur la cosse qui gonfle et qui s’ouvre à demi,
La terre labourée où mûrissent les graines
Ondulera, joyeuse et douce, à petits flots,
Heureuse de sentir dans sa chair souterraine
Le dessin de la vigne et du froment enclos.
Des brugnons roussiront sur leurs feuilles, collées
Au mur où le soleil s’écrase chaudement.

La lumière emplira les étroites allées
Sur qui l’ombre des fleurs est comme un vêtement.
Un goût d’éclosion et de choses juteuses
Montera de la courge humide et du melon,
Midi fera flamber l’herbe silencieuse,
Le jour sera tranquille, inépuisable et long.

Et la maison, avec sa toiture d’ardoises,
Laissant sa porte sombre et ses volets ouverts,
Respirera l’odeur des coings et des framboises
Eparse lourdement autour des buissons verts.
Mon coeur indifférent et doux aura la pente
Du feuillage flexible et plat des haricots
Sur qui l’eau de la nuit se dépose et serpente
Et coule sans troubler son rêve et son repos.

Je serai libre enfin de crainte et d’amertume,
Lasse comme un jardin sur lequel il a plu,
Calme comme l’étang qui luit dans l’aube et fume
Je ne souffrirai plus, je ne penserai plus.
Je n’aurais plus d’orgueil, et je serai pareille,
Dans ma candeur nouvelle et ma simplicité,
A mon frère le pampre et ma soeur la groseille
Qui sont la jouissance aimable de l’été.
Et ce sera très bon et très juste de croire
Que mes yeux ondoyants sont à ce lin pareil,
Et que mon coeur, ardent et lourd, est cette poire
Qui mûrit doucement sa pelure au soleil...

Anna de Noailles