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Retour au synoptiques des variétés anciennes de blé

Cette page a été mise à jour le  24-09-2012

Agriculture Nouvelle septembre 1895

Article de M. Schribaux Directeur de la station d'essais de semences à l'institut national agronomique

 

Le Blé Gatellier

Tous ceux qui suivent les progrès de la culture du blé n'ont pas oublié les expériences que le regretté M. Gatellier a commencées, il y a plus de 10 ans, en vue de créer, par des croisements artificiels, de nouvelles variétés donnant satisfaction à la fois au cultivateur et au meunier.

 

Nos anciens blés, que nous désignons d'ordinaire sous le nom de blés de pays, possèdent certainement de précieuses qualités : bien adaptés au climat sous lequel on a l'habitude de les cultiver, ils sont rarement détruits par le froid ; leur précocité les préserve, en outre de l'échaudage si redoutable pour les variétés tardives pendant les les étés secs.

 

La paille très fine est appréciée par les cultivateurs qui ont conservé l'habitude de la faire entrer pour une large part dans l'alimentation du bétail ; enfin, le grain fournit de la farine d'excellente qualité.

 

Mais si la paille est fine, sa rigidité laisse nécessairement à désirer ; elle ne peut porter que de maigres épis. Les anciennes variétés,  et c'est là leur principal défaut, sont en effet peu productives. Les étés sont-ils chauds et humides, les cultive-t-on dans des terres fertiles ou fortement fumées, presque fatalement la paille longue et grêle s'affaisse, verse sous le poids de l'épi et la récolte se trouve compromise.

 

Partout où les froids de l'hiver et les chaleurs de l'été ne sont pas extrêmes, les anciens blés ne sont à leur place que dans les terres médiocres ou mal cultivées.
 

Dans des cultures avancées, les blés de pays ont peu à peu cédé la place à des variétés nouvelles, que nous désignons sous le nom de blés améliorés ou plus exactement sous celui de blés à grands rendements. Résistants à la verse, ils permettent d'obtenir, grâce à l'emploi des engrais chimiques, des récoltes qui auraient paru invraisemblables il y a vingt-cinq ans. Mais si le producteur
est satisfait des rendements qu'il en obtient, le meunier se plaint de la qualité du grain il accuse les nouvelles variétés d'être pauvres en gluten, de livrer une pâte courte qui lève mal; force serait de les mélanger à des blés d'Amérique, de Russie, etc., pour en obtenir de la farine marchande.
 

L'année dernière, bien que nous ayons colté assez de blé pour suffire à notre consommation, la meunerie n'a pas moins importé des quantités considérables de blés étrangers.

 

Agriculteur et meunier, praticien habile et savant distingué, M. Gatellier était mieux qualifié que personne pour rechercher s'il ne serait pas possible de concilier les intérêts du producteur, lequel préfère les blés à grands rendements, avec ceux du meunier qui clame dos blés de qualité livrant de la farine blanche et riche en gluten.
 

Après avoir étudié, en collaboration avec M. I. Ilote, le chimiste bien connu, quelles sont les circonstances qui déterminent la richesse d'un blé en gluten, et constaté l'influence de la variété, M. Gatellier pensa que le moyen le plus sûr d'arriver au résultat désiré, c'était de pratiquer des croisements raisonnés entre de bonnes variétés anciennes et des variétés à grands rendements.
 

Il était logique d'admettre que, parmi les métis issus de ces croisements, il s'en trouverait qui, héritant à la fois des qualités du père et de celles de la mère, donneraient beaucoup de grain et du grain livrant d'excellente farine.
 

Les premiers croisements pratiqués par M Gatcllier datent de 1884. Le blé de Crépy ou du Soissonnais, autrefois célèbre aux environs de Paris pour la qualité de son grain, mais dont la culture avait été abandonnée à cause de sa paille, sujette à la verse, et de ses épis effilés, ne renfermant qu'un petit nombre de grains, fut l'un des reproducteurs auxquels s'adressa M. Gatellier.
 

Prenant ce blé de Crépy successivement comme père et comme mère. M. Gatellier le croisa avec des variétés très productives, résistantes à la verse, telles que le Goldendrop, le Shirrif, le Victoria, etc.
 

De ces croisements, il obtint un très grand nombre de métis en 1889, il en avait sélectionné 33: à la suite d'essais culturaux poursuivis à sa ferme de Lusancy et d'essais de laboratoire exécutés par M. L'Hôte et par l'auteur de ces lignes, il en élimina d'abord 24. En 1894, après de nouvelles expériences, M. Gatellier n'ensemençait plus que trois variétés.
 

On peut juger déjà par ces courtes indications quelle somme de travail, quels sacrifices de temps et d'argent exige la création
par voie de croisements de variétés véritablement recommandables.
 

Quelles que soient l'habileté et la sagacité de l'expérimentateur qui se livre à la pratique des croisements, celui-ci constate bien souvent, s'il est impartial et affranchi de toute idée mercantile, que ses efforts n'ont pas été récompensés, que parmi les nouveautés qui surgissent il ne s'en trouve aucune dont le mérite dépasse celui des variétés choisies comme reproducteurs.
 

M. Gatellier me paraît avoir été plus heureux que beaucoup de chercheurs. Parmi les métis qu'il a obtenus, il en est un qui me semble mériter toute l'attention des agriculteurs. Voici d'ailleurs en quels termes M. Gatellier le présentait l'année dernière à ses collègues de la Société nationale d'agriculture ( Bulletin des séances de novembre 1894) :
 


Pour perpétuer le souvenir de l'homme excellent auquel l'agriculture française est redevable de tant de services, j'ai donné au Crépy-Goldendrop le nom de blé Gatellier.


M. Gatellier, est mort avant d'avoir achevé son œuvre. Je considère comme un pieux devoir de la continuer et de ne pas laisser perdre pour l'agriculture le fruit de dix années de travail opiniâtre.
 

Quelques jours avant la moisson, j'ai visité, en compagnie de M. Biès, vice-président de la Société d'agriculture de Meaux, qui fut le collaborateur dévoué de M. Gatellier, les cultures de Crépy-Goldendrop établies par celui-ci dans ses deux fermes de Lusancy et de Rouget, voisines l'une et l'autre de La Ferté-sous-Jouarre.
 

A Rouget, le blé Gatellier était semé entre ses deux ascendants, le Crépy et le Goldendrop. J'ai fait arracher une botte de chacune des trois variétés pour les étudier comparativement au laboratoire de la Station d'essais de semences.

  Poids de 1 000 grains Eau pour 100 Azote p. 100 de matière sèche Gluten calculé d'après la teneur en azote
Crépy 51.187 14.85 1.348 9.893
Blé Gatellier 51.962 15.00 1.299 9.556
Goldendrop 48.162 15.37 1.206 8.912


Voici en peu de mots les observations que j'ai réunies :

Productivité. Le blé Gatellier possède des épis plus lourds que ceux du Goldendrop et du Crépy il se distingue également de ses parents par sa paille un peu plus longue et plus résistante.

C'est ce qui ressort des chiffres ci-dessous représentant les moyennes d'expériences très précises exécutées par M. Bussard à la Station d'essais de semences et portant sur plusieurs
centaines de talles.
 

  Grain Paille
  Poids moyen renfermé dans un épi Hauteur Poids correspondant à un épi
Crépy 0.80 1m20 1.85
Blé Gatellier 1.11 1.25 2.88
Goldendrop 0.98 1.15 2.41



J'aurai plus tard l'occasion de montrer tout l'intérêt pratique que présentent les déterminations précédentes pour apprécier la productivité relative des variétés cultivées dans des conditions comparables.

Qualité du grain -Le grain du blé Gatellier est plus allongé, plus lourd et plus riche en gluten que celui du Goldendrop. Les chiffres qui suivent en sont la preuve

Les caractères du blé Gatellier se rapprochant de ceux du Crépy, il est vraisemblable d'admettre qu'il produira de la farine d'aussi bonne qualité.

L'humidité persistante de 18913, les mauvaises conditions dans lesquelles la récolte s'est effectuée, expliquent la teneur si faible en gluten des variétés précédentes. En année normale, le taux d'azote serait notablement plus élevé. En 1889, par exemple, le Blé Gatellier dosait 15,91 0/0 de gluten.

Résistance à l hiver et précocité - Au champ d'expériences de la Station, j'avais semé une petite quantité de blé Gatellier ; il a parfaitement résisté à l'hiver ; du blé de Bordeaux cultivé dans les mêmes conditions a presque totalement disparu.

L'époque de maturité du blé Gatellier se rapproche de celle du Goldendrop, elle semble même un peu plus tardive.

En résumé, les observations ne 1895 ne sont pas moins favorables à la nouvelle variété que celles des années précédentes.
 

J'ignore quel avenir lui est réservé, je serais surpris cependant qu'elle ne répondit pas aux espérances que M. Gatellier avait fondées sur elle.

 

M. Schribaux Directeur de la station d'essais de semences à l'institut national agronomique