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1907
Gougis
Constructeur à
Auneau en
Eure et Loir
Poids : 1 500 kg.
Moteur : 4 cylindres, 1000 à 1200 tours minute,
10 - 12 CV, essence.
Dimensions : 167 centimètres de largeur et 150
centimètres de hauteur.
Dimensions des roues AV : 15,5 centimètres de
largeur et 57 centimètres de diamètre.
Dimensions des roues AR : 23 centimètres de
largeur et 100 centimètres de diamètre.
Présenté en 1915 à la manifestation de
Grigny
Extrait du Journal d'agriculture pratique
Ce nouveau tracteur peut s’appliquer à tout emploi nécessitant une force de
traction à petite vitesse, mais il est supérieur à tout autre mode
d’attelage, soit animal, soit mécanique, pour faire fonctionner tous les
instruments dont les roues porteuses donnent en tournant le mouvement à un
appareil opérateur quelconque et notamment les instruments de récoltes :
faucheuses moissonneuses, moissonneuses-lieuses moissonneuses-batteuses,
etc.
En effet, si l’on examine par exemple ce qui se produit dans le
fonctionnement d’une moissonneuse-lieuse trainée par des chevaux, on voit
que le mouvement de la scie n’est pas simultané avec le départ de ces
chevaux, car il faut que l’attelage ait avancé du chemin nécessaire pour
gagner le jeu de tout le mécanisme, chaînes, engrenages, etc... ; de plus,
il se produit un certain glissement sur le sol, de sorte que la scie n’a
toute sa vitesse que lorsque l’attelage a fait quelques pas, d’où mauvais
départ et souvent bris de mécanisme à ce moment. Si le travail est
difficile, dans des récoltes versées par exemple, il est fort rude et
l’attelage ralentit, tandis que c’est à ce moment qu’il devrait activer au
contraire ; d’où bourrage, arrêt, puis nouveau départ et, cela lorsque la
difficulté de ce départ est encore augmentée de la difficulté du travail
lui-même.
Lorsqu’on munit ces machines des releveurs nécessaires dans les récoltes
versées, elles exigent tant de traction qu’il faut doubler l’attelage, ce
qui complique encore le fonctionnement général : de plus, il arrive fort
souvent, et ce n’est pas le moindre inconvénient, que la terre est humide ou
molle, tandis que la récolte est bien sèche et se couperait facilement. Si
l’on fait fonctionner la lieuse à ce moment, la roue motrice, ne trouvant
pas l’appui nécessaire sur le sol peu résistant, glisse et rend le travail
impossible. Enfin ces travaux se font toujours à des moments où l’on manque
d’attelage, où la température étant fort chaude rend très pénible le service
des animaux.
La traction mécanique utilisée jusqu’à présent supprime les inconvénients
causés par le manque de force et la chaleur, mais augmente gravement ceux
causés par les départs, les récoltes difficiles et le sol glissant, car il y
a doubles roues motrices : celles du tracteur et celles de la lieuse.
J’ai tourné la difficulté de la façon la plus simple en scindant les deux
travaux, avance et opération. Mon tracteur "A" a son mouvement
d’avance absolument semblable à celui des autres tracteurs ou automobiles
quelconques avec changement de vitesse, marche arrière, etc. ; mais, de son
moteur part une transmission, b, légère (avec débrayage) qui, par le
moyen de deux joints de cardan et d’une chaine, donne le mouvement à l’arbre
de la bielle qui, dans toutes les lieuses, est l’arbre central d’où est
distribué le travail des autres organes : élévateur compresseur, lieur et
rabatteur. La lieuse M, tirée par la flèche a, est donc une lieuse
quelconque, et c’est un grand avantage sur les instruments spéciaux
automobiles, car cela permet avec le même tracteur de traîner des
instruments divers, ceux d’ailleurs que le cultivateur possède et, qu’il
pourra toujours utiliser avant comme après avec ses chevaux.
A la mise en marche, on fait fonctionner d’abord les opérateurs, puis en
embrayant l'avance, on obtient un départ sans a-coups et très sur. Dans un
endroit difficile, on peut changer la vitesse du tracteur, et comme les
opérateurs tournent toujours à leur vitesse propre, l’on passe sans autre
inconvénient. Si malgré tout, il y a bourrage, on débraye l’avance
entièrement ( ce qui pourra se faire sur la lieuse elle-même), et la machine
fonctionnant sur place se débarrasse en un clin d’œil. Si une récolte est
tellement versée que l’on ne puisse aller que de trois côtés, on débraye les
opérateurs, puis on fait le quatrième côté à vide en grande vitesse et sans
inconvénient pour le mécanisme, car la terre est toujours très molle sous le
grain versé (c’est une des raisons, d’ailleurs, qui rend fort difficile le
travail des chevaux).
Afin de vérifier la justesse de ma théorie, j’ai construit un tracteur
d’essai composé d’un moteur de 12 à 16 chevaux de pièces d’automobiles, puis
,j’ai pris le mouvement des opérateurs sur le moteur au moyen d’une courroie
trapézoïdale (ce qui sera supprimé dans l’appareil définitif); je l’ai
dirigé sur l’arbre de la scie d'une lieuse de 1,8 m, comme il a été expliqué
ci-dessus, par deux joints de cardan et une chaîne, le tout par des moyens
de fortune afin d’avancer le plus possible la date d’essai : la lieuse fut
munie de 4 releveurs.
Le 27 juin tout étant enfin prêt, nous sommes allés dans une luzerne fort
touffue, versée et mélangée ou l’on n’aurait jamais eu l’idée de faire
fonctionner une lieuse attelée. Le moteur tout neuf n’était pas au point et
ne produisait aucune force, ce qui m’a permis de voir dès le premier moment
que mon intervention était bonne car nous avons bien fait en 20 mètres, 8 ou
10 arrêts : malgré le peu de force dont nous disposions à chaque départ, le
travail se faisait très régulièrement jusqu’à ce que la force emmagasinée
dans le volant étant absorbée le moteur nous laissait en panne. Le lendemain
à 5 heures du matin, nous sommes repartis avec le moteur mieux réglé, et
malgré la rosée nous avons très bien fonctionné.
Le mardi 12 juillet, nous faisons fonctionner l’appareil devant quelques
agriculteurs afin de connaître leur opinion, et toujours dans la même
prairie. En nous rendant au champ nous essuyons une forte averse, puis une
autre en plein fonctionnement. Rien ne nous a arrêté, et les personnes
présentes ont déclaré que le procédé appliqué était parfait, car il aurait
été impossible de faire marcher dans cette récolte et par cette pluie, une
lieuse attelée, et cela même par un temps très sec. Les visiteurs ont été
extrêmement surpris de la façon dont la lieuse coupait en prenant sur le dos
de la récolte, ce qui peut s’expliquer par la vitesse régulière de la scie
et des toiles qui débarrassaient continuellement le tablier et permettaient
de baisser les rabatteurs jusque sur les releveurs. Le 9 juillet je coupai
un petit champ d’orge escourgeon très facile, puis le 18, du seigle très
long et très mêlé, et enfin le 30, du blé versé complètement à plat.
Il est donc acquis que la moisson des récoltes difficiles est résolue, et il
ne reste plus qu’à construire l’appareil définitif puis à faire les essais
de rendement et de consommation. Ce sera la tâche de la moisson prochaine ;
car si au point de vue agricole je suis satisfait du résultat, il n’en est
pas de même au point de vue mécanique. Je prie donc les intéressés de ne pas
juger mon œuvre sur le vu d’un tracteur construit à la hâte avec des pièces
de rencontre, à grands renforts de courroies, chaînes, etc, en montant sur
des bandages en fer des organes destinés à être montés sur des châssis avec
ressorts et pneus, destinés à faire 50 ou 60 kilomètres à l’heure, tandis
qu’il s agit de ne faire que 5 à 6 kilomètres. Cela est forcément disparate.
Les études spéciales sont d’ailleurs fort avancées et j’espère bien
présenter au concours de Paris de 1908, l’appareil, sinon définitif, du
moins bien à point pour faire un service pratique.
A. Gougis
ingénieur constructeur
Auneau, le 31 juillet 1907
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