Les moulins morts
Gaston Couté (1880-1911)
On vient d'arrêter le moulin
Qui chanta, tout le jour
Son refrain tout blanc, tout câlin,
En faisant son oeuvre d'amour ;
Et je suis là ce soir, mon Dieu !
Gisant quelque part, au milieu
Du moulin où plus rien ne bruit
Avec mon coeur... Pareil à lui !...
L'odeur du bois, le son du glas,
Un temps de neige, un soir d'ivresse
M'attristent moins que la tristesse
Des moulins qui ne tournent pas !
Les meules ont l'air d'écraser
Du silence sous leur torpeur
Et le blutoir ankylosé
Crible de la nuit sur mon coeur,
Mon coeur déjà si plein de nuit
Et que le silence poursuit
Toujours, toujours, depuis le jour
Où finit mon dernier amour...
L'eau coule, pleurant de langueur,
Sous la vanne aux abords vermoulus,
Comme l'inutile douceur
D'un coeur aimant qui n'aime plus ;
Et ce coeur là, mon coeur à moi,
Sentant sa peine avec effroi
En la douleur morne de l'eau,
Vient crever d'un gros sanglot...
Holà ! clair meunier de l'espoir
Qui remet en marche le jour
Le moulin qui s'arrête le soir
Comme un pauvre coeur sans amour,
Holà ! déjà l'aube éclaircit
Le moulin et mon coeur aussi.
Holà ! Holà ! meunier qui dors,
Ressuscite les moulins morts !...
L'odeur du bois, le son du glas,
Un temps de neige, un soir d'ivresse
M'attristent moins que la tristesse
Des moulins qui ne tournent pas !...
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